Je dirige un réseau de santé (SPES - soins palliatifs, soins de support, douleur et accès aux soins) et rencontre régulièrement des enfants aidants. Ils s’occupent de tâches ménagères, des médicaments pour leurs proches… La société considère que ce n’est pas à eux de jouer ce rôle alors les statistiques les ignorent. Pourtant ils sont bien là. En Île-de-France par exemple, deux familles sur cinq sont monoparentales, le plus souvent une mère avec enfant(s). Si l’on croise cette statistique avec celle de l’incidence du cancer du sein dans la région, on perçoit l’ampleur de la situation. Il faut donc rendre ces jeunes visibles et leur donner la parole, évaluer leurs besoins, leurs attentes…
Car c’est ce qu’il y a de moins discriminant pour les enfants. Leur situation d’aidant à domicile peut entrainer un isolement, des difficultés à l’école, voire un décrochage scolaire. Il fallait donc un sujet facile à appréhender, quel que soit leur milieu d’origine. L’audiovisuel est un bon candidat car tous les enfants s’approprient le high tech aisément. Et puis c’est le cœur de métier d’Isabelle Brocard. Je l’ai rencontrée sur le tournage d’un de ses longs métrages où je coachais des acteurs. Nous avons gardé le contact et nous avons créé Jade en 2014.
Nous recevons deux groupes de jeunes en résidence au domaine départemental de Chamarande. Ils viennent en deux temps -vacances de Toussaint et d’hiver - et sont encadrés par des animateurs et des professionnels de l’audiovisuel. Les 8-13 ans créent un avatar et réalisent un film d’animation plus ou moins proche de leur quotidien. Les plus grands (14-20 ans) apprennent d’abord à écrire un scénario et à manier la caméra. Ils rentrent chez eux avec le matériel pour tourner un documentaire sur leur vie. Lorsqu’ils reviennent en deuxième période, ils montent leur film. Toutes les œuvres sont ensuite projetées au cinéma Les cinoches de Ris-Orangis. L’objectif est qu’ils prennent du recul sur leur situation.
C’est indéniable ! Les ateliers sont pour eux une véritable bouffée d’air, un exutoire. Ils peuvent parler librement de leur situation sans avoir peur d’être jugés ou incompris. Par ailleurs, leurs films donnent du sens à ce qu’ils vivent et ils appréhendent mieux les émotions contradictoires qui peuvent les traverser. Enfin, les résidents montrent leurs capacités à mener un projet à terme. C’est valorisant, surtout pour ceux confrontés à des situations d’échec scolaire.Les jeunes s’épanouissent clairement au fil de ces stages.
Pour repérer les jeunes aidants, nous devons sensibiliser un maximum de partenaires médicosociaux, par exemple les cancérologues qui diagnostiquent 5000 nouveaux cas par an en Essonne, ou les professionnels des établissements scolaires et universitaires. Une association ad hoc Jade est en cours de création et nous permettra de toucher le plus large public. Par ailleurs des projets de recherche sont en cours avec l’Association française des aidants pour rendre ces jeunes plus visibles. La France accuse un sérieux retard en la matière par rapport à ses voisins. Elle doit le rattraper.